Crise climatique, catastrophes naturelles, ou déclin de la biodiversité, voilà des messages peu réjouissants. Pourtant, il est important et nécessaire d’en parler, et notamment dans les musées de sciences naturelles, lieux où les citoyennes et citoyens peuvent s’approprier ces sujets. Mais comment aborder ces lourdes thématiques dans une exposition, où l’on se rend certes potentiellement pour s’instruire, mais également pour se détendre ou s’émerveiller ? Plusieurs musées font le choix d’aborder le sujet de front.
Au cœur des préoccupations des musées de sciences naturelles
Nous vivons une crise majeure de la biodiversité à l’échelle mondiale. La perte de biodiversité actuelle est exceptionnellement rapide et drastique, et ce phénomène est dû aux êtres humains et à leurs activités. Nous avons donc causé, et causons encore, une extinction de masse (1). Le consensus scientifique est établi, le sujet est régulièrement abordé dans les médias et la majeure partie de la population est au courant du problème, au moins dans une moindre mesure. Les musées de sciences naturelles se sont déjà depuis longtemps emparés du sujet, et en fond parfois même le cœur de leur mission. C’est le cas par exemple du Muséum d’histoire naturelle de Genève qui se positionne en affirmant que « Le Muséum diffuse la connaissance scientifique et sensibilise le public à la nature et à sa protection, dans ce contexte particulier d’effondrement de la biodiversité, du dérèglement climatique et de la défiance vis-à-vis du fait scientifique » (2).

Ça fait peur… Alors quel(s) rôle(s) pour les musées ?
Face à ces nouvelles peu réjouissantes, un nouveau phénomène est décrit depuis quelques années : l’éco-anxiété, soit « le sentiment de détresse face au dérèglement des écosystèmes » (3). Cette détresse peut parfois mener à l’immobilisme, c’est-à-dire une paralysie d’action face à la situation, ou peut être un moteur pour agir. Dans une large revue de littérature regroupant plusieurs études analysant émotions et changements climatiques, le chercheur Tobias Brosch de l’UNIGE conclu que l’idéal, afin de favoriser une amélioration de la situation, est de trouver un équilibre entre peur et espoir (4).

Dans cette tempête d’émotions, quel(s) rôle(s) peuvent endosser les musées de sciences naturelles ? S’en tenir strictement aux faits scientifiques ? Froidement, et au risque de trouver des visiteurs déprimés à la sortie de leur visite. Ou pousser le visiteur à agir en le bombardant d’exemples rassurants, quitte à le laisser partir avec l’impression que tout va bien ? Les musées doivent-ils endosser un rôle prescriptif, en prenant le risque de faire peser une trop grande responsabilité individuelle sur les citoyennes et citoyens ? Ou existent-ils pour susciter le débat et la réflexion ?
Entre peur et espoir, accueillir les émotions
Deux institutions qui ont fait de la crise de la biodiversité le cœur d’une exposition, sont manifestement arrivées à une conclusion similaire pour aborder ce lourd sujet : intégrer les émotions au cœur du parcours de visite.
Ainsi, dans l’exposition permanente du MUZOO, à La Chaux-de-Fonds, le visiteur est d’abord amené à découvrir les faits : qu’est-ce que la biodiversité, sa perte, les causes de ce déclin. Puis, « un moment de répit au bout du couloir permet au visiteur d’exprimer ses émotions et ses préoccupations » (5). À la fin du parcours, un espace présente des solutions d’ampleurs et d’origines variées mises en place dans le monde pour la préservation de la biodiversité.

L’exposition « Tout contre la Terre » présentée au Muséum d’histoire naturelle de Genève entre 2021 et 2023, déroulait un scénario similaire, en débutant avec la présentation factuelle des limites planétaires, mixée à quelques pistes de solutions, pour se poursuivre sur une « forêt d’émotions » mettant en avant les émotions qui peuvent être ressenties face aux changements climatiques. Enfin, le visiteur était amené à se positionner sur une roue des émotions (6).
Il semble que l’équilibre soit ainsi trouvé : les faits se chargent de nous faire peur ; les solutions imaginées jusqu’ici nous donnent juste assez d’espoir ; et un espace nous est offert pour prendre conscience de nos émotions et les extérioriser. Il y a encore bien d’autres sujets sensibles qui mériteraient leur place en musée : mort, colonisation, provenance des collections, œuvres controversées, etc. Et si donner de la place à nos émotions était la clé d’une expérience réussie ?
(1) BARNOSKY Anthony D. et al, « Has the Earth’s sixth mass extinction already arrived? », Nature, vol. 471, no 7336, 2011, p. 5157, DOI: 10.1038/nature09678.
(3) BESMARAIS, Marie-Élaine, et al. « Comment faire face à l’éco-anxiété : 11 stratégies d’adaptation en contexte éducatif. » Éducation relative à l'environnement, volume 17, number 1, 2022, en ligne : https://id.erudit.org/iderudit/1093844ar
(5) Dossier de presse, Inauguration du MUZOO, 2022 https://muzoo.ch/wp-content/uploads/2022/12/Inauguration_MUZOO.pdf
(6) Dossier pédagogique de l’exposition « tout contre la Terre », Muséum d’histoire naturelle de Genève, 2021, https://institutions.ville-geneve.ch/fileadmin/user_upload/mhn/documents/Museum/Dossier_pedagogique_TCLT_V2.pdf
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