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Le tourisme de mémoire : transmettre l'Histoire

Dernière mise à jour : 28 sept.

Le tourisme de mémoire occupe aujourd’hui une place essentielle en Europe et en France. Chaque année, des millions de visiteurs se rendent sur ces sites pour comprendre l’Histoire. Mais comment concilier devoir de mémoire, attentes des visiteurs et enjeux patrimoniaux ? Pour éclairer ces défis, nous avons rencontré Perrine, guide conférencière, qui transmet au quotidien la mémoire vivante.


Le tourisme de mémoire, une fréquentation en hausse

En 2023[1], les lieux de mémoire des conflits contemporains ont enregistré 13 millions d’entrées en France, un chiffre qui confirme l’essor de ce tourisme. Certains sites concentrent l’essentiel de cette dynamique : en Normandie, six des dix sites les plus visités s’y trouvent[2]. Ces chiffres témoignent d’un attrait durable qui s’inscrit dans une démarche de transmission. Mais derrière cette fréquentation croissante, une question demeure : pourquoi ces visiteurs viennent-ils ?


Les motivations des visiteurs

Les enquêtes montrent des motivations récurrentes : tirer des leçons du passé, comprendre l’Histoire et transmettre aux jeunes générations[3]. Pour certains, ces visites relèvent aussi d’une quête identitaire ou d’une réflexion sur le monde contemporain. Les lieux de mémoire deviennent ainsi des espaces de transmission, de compréhension et de questionnement.


Comment, sur le terrain, donner vie à une histoire qui ne doit jamais sombrer dans l’oubli ?


Donner vie à la mémoire : rencontre avec Perrine

Qu’est-ce qui t’a donné envie de devenir guide, et pourquoi le tourisme de mémoire ?

« Je me suis passionnée pour l’histoire très jeune, grâce à mes grands-parents qui m’ont fait découvrir les champs de bataille. Au collège, je rêvais d’être reporter de guerre, mais j’ai vite compris que je voulais la transmettre plutôt que la filmer. Un job saisonnier au Musée Somme 1916 a été un déclic : en observant les guides, leur savoir et leur générosité, j’ai su que c’était le métier que je voulais faire. J’ai alors suivi des études mêlant histoire, patrimoine, tourisme et muséologie. Ce qui m’attire surtout, c’est l’humain : guider, c’est raconter des parcours individuels, des traces visibles dans le paysage, transmettre la mémoire par l’émotion autant que par les faits. »


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© Perrine La Guide


Ton métier a-t-il une dimension engagée ? Et quel rôle joue le tourisme de mémoire aujourd’hui ?

« Être guide en tourisme de mémoire, c’est un engagement profond : lutter contre l’oubli, l’indifférence, le négationnisme. Chaque visite est une prise de position : raconter, nommer, questionner. Le terrain rend l’Histoire incontestable : une tranchée ou un wagon de déportation parlent d’eux-mêmes. Le tourisme de mémoire n’est pas un tourisme de consommation, mais un acte civique et patrimonial. »


Quels lieux fais-tu découvrir, et comment construis-tu tes visites ?

« Je fais découvrir des sites emblématiques de la Grande Guerre dans la Somme, comme Thiepval, Beaumont-Hamel ou les cimetières militaires. Mais aussi des lieux plus intimes : vestiges dans les bois, stèles isolées, traces de tranchées. La mémoire est partout : dans les villages, les paysages, les noms de rue. Je suis aussi guide en Europe de l’Est, sur les traces de la Shoah, en lien avec le Mémorial de la Shoah. Je construis mes visites à partir des lieux et des gens. Mon but n’est pas de réciter des dates, mais de faire ressentir et réfléchir. Avec le temps, je laisse plus de place aux visiteurs : je les rends acteurs. »


Tu interviens aussi auprès d’élèves. Comment abordes-tu ces sujets sensibles avec eux ?« Avec les élèves, j’aborde ces thèmes avec pédagogie et respect. Je pars de leur quotidien pour parler de choix ou d’injustice. Je m’appuie sur des témoignages d’enfants, des dessins, des lettres. L’idée n’est pas de choquer, mais de responsabiliser. Leurs réactions sont souvent très fortes : “Pourquoi a-t-on laissé faire ? Et si c’était moi ?” Une fois, un enfant m’a dit : “Je sais que c’est arrivé, mais je n’arrive pas à l’imaginer. Je suis désolé... pour ce que le monde a fait.” Ces moments confirment que la mémoire doit se transmettre vivante. Aujourd’hui, les jeunes sont sensibles aux injustices et font facilement des parallèles entre passé et présent. Pour capter leur attention, j’ai créé des visites théâtralisées oû des personnages inspirés de récits réels prennent vie. »


© Sami Thellier / © Jérôme Halatre


Tu as récemment travaillé avec des agriculteurs. Peux-tu nous en parler ?

« J’ai travaillé avec des agriculteurs dans le cadre de deux épisodes consacrés aux liens entre agriculture et guerre. Chaque année, la terre fait remonter des vestiges dont ils sont les premiers témoins. Leur parole apporte une lecture plus brute de la guerre : celle du sol et du quotidien. Elle permet de croiser les mémoires — celle des champs de bataille et celle des champs cultivés. »


Pourquoi est-il important de continuer à transmettre ces mémoires aujourd’hui ?

« Transmettre, ce n’est pas seulement se souvenir : c’est comprendre et questionner. Les violences du passé laissent encore des traces dans nos lois, nos familles, nos paysages. Aujourd’hui, il existe à la fois une forte demande et parfois une fatigue mémorielle. C’est à nous de renouveler la transmission, de la transmettre avec humanité et espoir. Derrière chaque chiffre, il y a des visages, des familles, des vies. Comme le dit une devise danoise que j’aime : “La reconnaissance, c’est la mémoire du cœur.” »


Enjeux patrimoniaux et avenir du tourisme de mémoire

Le tourisme de mémoire contribue à la valorisation du patrimoine : il redonne sens à des paysages ordinaires, rappelle que l’histoire locale nourrit la mémoire nationale, et fait dialoguer mémoire individuelle et récit collectif. Il s’appuie sur un réseau d’acteurs : musées, associations, collectivités, enseignants, parfois même agriculteurs dont les champs révèlent encore des vestiges de guerre.


La récente convention nationale[4] pour promouvoir les sites de mémoire souligne que ce tourisme constitue un enjeu à la fois civique, pédagogique, culturel et économique. Face aux risques de lassitude, le défi reste d’inventer des formes de transmission vivantes et incarnées.


[1] Ministère des Armées – Observatoire économique de la Défense, Ecodef n°255, 2024.

[2] Ministère des Armées – Ecodef n°255, 2024 (Colleville représente 14,2 % de la fréquentation nationale).

[3] Fabrice Folio, "Tourisme de mémoire et lieux de mort : questions de mise en valeur et d’interprétation”, In Situ, 2020.

[4] Référence officielle : Direction générale des entreprises (DGE), 6 juin 2025.

 
 
 

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